L'homosexualité est un fait arabe : Explications de *Malek Chebel
*Anthropologue et spécialiste de l'Islam, Malek Chebel a consacré plusieurs ouvrages au corps, à la sexualité et à l'homosexualité dans l'Islam. Il est, depuis des années, un des plus actifs partisans d'une interprétation du Coran qui tienne compte de l'évolution du monde.
Que dit l'Islam de l'homosexualité ?
L'Islam n'utilise pas le mot homosexuel mais parle de peuple impie, de Loth et de la dégénérescence. L'homosexualité est plutôt présentée par défaut. Dans le Coran, elle est considérée comme un mal dont il faut se prémunir.
Cela tient en quelques lignes terribles. Ce texte a manifestement pour objet la conservation de l'ordre. Il s'agit de préserver la forme familiale traditionnelle, de reconduire l'ordre ancien et de condamner toutes les autres activités transgressives, y compris les formes de matrimonialité non conventionnelles.
La charia (la loi) et le fiqh (ses principes d'application) condamnent-ils expressément l'homosexualité ?
L'homosexualité est un des interdits majeurs dès les VIIIème et IXème siècles. A Bagdad, au XIème siècle, la culture homosexuelle est très nette. Il existe alors un culte du mignon dans les élites.
Celles-ci peuvent facilement se protéger du clergé et des sanctions judiciaires. Aux Xème et XIIème siècles, on voit fleurir une culture pédérastique s'inspirant de celle de la Grèce antique et l'émergence d'une littérature sur le sujet. Des poèmes comparent les vertus des éphèbes et des courtisanes (1).
Après, on assiste, sur le plan général, à une dégradation de l'Islam, à une crispation des juristes théologiens vers un droit plus strict, plus réactionnaire.
Ce mouvement, qui se poursuit aujourd'hui, prétend revenir à une pureté originelle qui n'a jamais existé. Il conduit l'Islam à avoir une vision de lui-même intolérante envers les homosexuels (les autres de l'intérieur) comme envers les étrangers (les autres de l'extérieur).
Certains discours laissent entendre que l'homosexualité serait une importation de l'Occident et n'aurait rien à voir avec la culture arabe.
Depuis le début, l'homosexualité est un fait arabe. Certains veulent effectivement faire croire qu'il s'agit d'un mal venu d'ailleurs. Le mal, c'est toujours l'autre qui l'apporte. L'Occident s'est libéré de son complexe par rapport aux homosexuels. L'Occident s'affranchit de ses tabous. Le monde arabe subit l'impact des images venues d'ailleurs, l'impact des innovations faites ailleurs, l'influence économique étrangère. Il subit l'influence de l'Occident qui se conçoit aussi comme exportateur de morale. Il ne lui reste plus qu'un pré carré à défendre : celui de la morale.
Comment expliquer l'attitude de l'Egypte à l'égard des homosexuels ?
Il y a très nettement une défense du territoire de la part du clergé égyptien. Une régression dans ce pays qui indique la mainmise de la pensée fondamentaliste sur les pouvoirs. Je pense qu'il s'agit d'un coup de sang contre un phénomène qui est très ancien et de plus en plus visible.
La situation diffère dans les pays du Maghreb. En Tunisie, il n'y a pas eu de persécutions. Au Maroc, les homosexuels se sont affranchis du regard des autres même si on ricane toujours à leur propos. Même en Algérie, où l'on a toujours nié l'existence d'une homosexualité même latente, on voit des gens qui s'autorisent à être homosexuels sans avoir peur d'être lapidés.
La situation est très différente en Arabie Saoudite...
La localisation en Arabie Saoudite de Médine et de La Mecque, les deux lieux les plus sacrés de l'Islam, pousse le pays à s'assigner le rôle de premier défenseur de la morale la plus stricte. Il y a une vraie concurrence de la gestion de la morale entre l'Arabie Saoudite, l'Iran et, avant l'intervention américaine, l'Afghanistan des talibans.
Aujourd'hui, deux tendances s'affrontent : l'une ultra conservatrice avec une application du Coran à la lettre, l'autre qui préconise une interprétation moderne du texte.Comment voyez-vous l'avenir ?
Ces deux tendances existent. Il y en a d'ailleurs une que j'incarne depuis longtemps, celle d'une nouvelle interprétation des textes, mais qui est encore minoritaire.
Aujourd'hui, il existe une diversification de l'accès à l'information, une mondialisation des échanges, un appétit des jeunes à vouloir avoir accès à la jouissance immédiate qui fait qu'à long terme les positions intransigeantes auront du mal à tenir. On assiste, par ailleurs, à l'échec des islamistes en Algérie, à la chute de l'Afghanistan des Talibans. Au Soudan, montré en exemple il y a quelques années, l'étoile a pâli. Certains signes sont là mais il reste beaucoup de chemin à parcourir...